J.J. Cale
A fond de Cale
L'article a paru dans Guitare & Claviers, en 1985.
Merci à l'auteur, Luc Baranger.
Tous droits réservés.
Tant d'histoires courent sur son compte, qu'il semble urgent de rendre à J.J. ce qui n'appartient qu'à lui.
Quel est donc cet énergumène si secret qui, en quatorze ans, s'est constitué un réel public
de fidèles et a concocté huit galettes au sein desquelles rien, ou pratiquement rien, n'est à jeter?
Pour l'avoir côtoyé à plusieurs reprises depuis 1975, je souhaiterais remettre certaines pendules à
l'heure et démythifier la légende de ce grand guitariste que les journalistes de tout poil s'acharnent à
bâtir sur... du vent ou plus exactement sur des "impressions", nées du climat des disques de Cale. Une
parenthèse: il paraît difficile de dissocier Cale et Ashworth tant sont ténues la collaboration, la
complicité et l'amitié qui les ont unis. Cale (appelons-le Cale, car c'est ainsi que ses proches l'appellent,
un peu comme Yves Montand que son entourage nomme... Montand tout court) est né en 1939, en Californie. Très
vite, pour des raisons professionnelles, ses parents viennent habiter Tulsa en Oklahoma.
C'est là que Cale devient un de ces Okies, un de ces pauvres Blancs de l'Amérique profonde. (Relisez le
début des Raisins de la colère, ça vaut tous les dépliants touristiques sur ce coin de
misère). A douze ans, en séchant la cantine de l'école et en économisant, par là même,
l'argent de ses repas, il parvient à s'acheter une méchante guitare Harmony d'occasion. C'est le déclic
qui va changer sa vie. Cale veut devenir guitariste professionnel, seulement guitariste. Il le devient rapidement mais à
la petite semaine, montant des groupes sans avenir du style "John Cale and the Valentines", jouant le plus souvent
derrière (ce qui n'est pas forcément la plus mauvaise place, me direz-vous) des strip-teaseuses de honky tonks
de troisième zone... Dès cette époque, il fait partie de la scène musicale de Tulsa où
les musicos sont "weird" (bizarres) me dit Cale: Si un mec était sur la touche, aussi sec un autre pouvait
jouer à sa place.
En 1961, Cale a vingt-deux ans. Il rencontre, dans un bar, Leon Russell qui n'a lui que seize ans mais que l'on considère
comme un prodige du piano. Rencontre importante. Russell deviendra rapidement célèbre et invitera Cale ainsi que
d'autres musiciens de Tulsa (Carl Radle, Jimmy Karstein, Jamie Oldaker entre autres) à venir vivre chez lui à L.A.
et à "pratiquer" son studio tout neuf de Skyhill Drive. Là J.J. s'initiera aux rudiments de la prise de
son et de l'électronique. Il y fera connaissance de Snuff Garret, un ponte de la production californienne. Mais,
le Sunset Strip n'aura été qu'un miroir aux alouettes. Déçu, sans le sou, Cale retournera hanter
les arrière-salles des bars de nuit de Tulsa. De Californie, il reviendra pauvre, question money, mais riche d'un
nouveau nom: "J.J. Cale" que lui a donné le boss du fameux "Whiskey a Gogo"; il aura aussi côtoyé
et joué avec des tas de gens intéressants comme Don Nix, il aura parfait son toucher de guitare et sa culture
musicale qui s'étend désormais de Charlie Christian à Tal Farlow, Johnny Smith et même Chet Atkins.
Cale avait une idée fixe: vivre de sa musique! Constatant que le job de guitariste ne nourrit pas son homme, il se
décide à se tourner vers la composition. I didn't make a dime but didn't want to get out of music, so I kinda
got into the songwriter singer thing. (Je le cite dans le texte car il a une manière si particulière de
construire ses phrases que ça vaut son pesant de grenadine à la menthe). Après un disque psychédélique
archi-nul, il écrit After Midnight, fait écouter le résultat à Carl Radle (alors bassiste de
Clapton), qui le fait lui-même écouter à son patron. Clapton enregistra cette chanson qui obtint un succès
relatif. "Quelle a été ta réaction en entendant After Midnight à la radio?
- J'ai dit: Hey! mais c'est mon truc! et je suis sorti m'acheter une Chevrolet..."
On peut mesurer le coup de pouce donné par Clapton à Cale qui le traduit ainsi: "Ce mec a vraiment été
le premier à me faire gagner du blé."
En 1971, Cale rencontre Audie Ashworth un ancien chanteur de country, reconverti dans le management. Rencontre décisive
qui débouche sur l'album "Naturally". Ce L.P. atteint le Top 50, et Crazy Mama se classe à la
22e place dans le Hot 100. Un an plus tard, Cale récidive avec "Really" enregistré dans différents
studios nashvilliens. 1973, c'est "Okie", la gâterie, la perle, le bonheur d'un soft country-rock personnalisé
et cool. Un trou de trois ans et c'est "Troubadour". Pas vraiment un trou puisque Cale tourne beaucoup, surtout
en Australie et en Nouvelle-Zélande où il apparaît comme une énorme vedette.
"5" sortira en 1979. De temps à autre, Cale joue ou produit des copains à lui: Gordon Payne, Jessi Colter,
Charlie Dore ou devient session man pour des stars de rencontres: Neil Young, Eddy Mitchell, Lee Clayton, etc. Pour ses
galettes personnelles il fait appel à ses vrais copains de toujours, Mac Gayden, Reggie Young, James Burton.
Sa vie amoureuse, après avoir connu bien plus de bas que de hauts (on se doit de lui reconnaître une misogynie
certaine, très vive dans ses textes), s'est stabilisée lorsqu'il a rencontré Christine Lakeland. Ils se sont,
si l'on peut dire, mis en ménage musical puisqu'elle joue sur les trois derniers albums de John et qu'elle coécrit
paroles et musiques.
Cale est aisé; Que veux-tu, j'ai déjà tout en double... Il fait beaucoup de moto, roule également
en Porsche. Il a même acheté un bateau, rapidement refourgué à Audie. Désormais, il a quitté
définitivement Nashville pour Anaheim en Californie. Il habite un trailer-home près d'un loft où il a
entassé tout le matos acquis au fil des années.
Je le crois heureux. Il tourne peu, compose et cling! passe à la caisse des droits d'auteurs. Il préfère, de loin,
les concerts pépères dans les clubs où il sévit parfois, seulement accompagné d'une Linn Drum.
Pour les fanas du détail qui se demandent comment John obtient ces sons si particuliers, voilà ce dont il dispose:
une vieille Harmony customisée, 6 micros dont le dos a été enlevé. Une Strato de 1977 avec un manche
Telecaster, très fin, micros Alambic Stratoblaster (elle fait un boucan d'enfer), cordes Fender, ampli Peavey
Artist ou 410 Bassman. En studio, il emploie une Les Paul Sunburst 1960, une Gibson Super 400, plus une série de grattes
bon marché comme cette Coral Firefly sortie d'un atelier de Neptune, New Jersey.
Il a, depuis cinq ans, atteint le sommet de son art, sinon de son style. Ecoutez ou ré-écoutez tous ses disques
au casque et vous y découvrirez mille et un collages, trucs, overdubs d'une demi-seconde, backing vocals ajoutés, remixés.
C'est un des derniers artisans du style laid-back.
Sa vie actuelle est aussi tranquille que sa musique. Toutefois et je me permets d'insister; je souhaiterais dire à tous
ceux qui le décrivent sale, ivrogne, marchant aux sniffs, écroulé, sorte de Keith Richards (modèle seventies)
made in U.S.A. que ce J.J. Cale là n'existe pas. Quand on ose qualifier un homme de "cossard" (Le Monde),
"lézard" (Vinyl), "peau d'iguane fripé et lascif" (Music Géant), "endormi"
(Rock & Stock), etc. on devrait au moins aller rencontrer Cale chez lui. Il est tout sauf cette espèce de Gypsy
décadent. Trop de journalistes ont inventé un J.J. Cale, truqué et se sont fondés sur ce qu'évoque
sa musique pour bâtir un personnage fictif.
Et, si vous voulez aller le rencontrer, no problem. Take your second left at the light à la sortie du parking de Disneyland,
stay on that road until the first underpass. Là, vous verrez a sign "Interstate 4", take it south, get off
at the Anaheim exit and then, you can't miss Mr. Call me the Breeze!
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